16/4/09

Pierre-Charles Pradier, La notion de risque en économie, Paris, La Découverte, 2006

Encore un ouvrage sur l'économie du risque ! Celui-ci choisit une optique assez originale, entre histoire économique et histoire des théories économiques. Si l'histoire des faits et de leurs représentations sociales constitue une tradition française, déjà illustrée dans le domaine du risque par François Ewald, héritier de Foucault et de l'école des Annales, on est moins habitué à voir un économiste s'essayer au même exercice. Doyen d'Économie de la Sorbonne, Pierre-Charles Pradier déploie toute son érudition pour brosser une fresque où le paysage des contrées du Nord, hébergeant les fondateurs du calcul des probabilités, succède à l'Italie des marchands médiévaux.

Précisément, le récit articule trois temps forts : l'apparition du mot, du concept et des pratiques du risque au Moyen-Âge ; le développement des mathématiques du hasard, de la gestion assurantielle et de la statistique mathématique à l'époque des Lumières ; enfin, l'essor récent de la théorie économique et financière - que ce soit du point de vue décisionnel a priori ou du point de vue macroéconomique a posteriori (avec l'énigme de la prime de risque et l'inflation des actifs patrimoniaux en conclusion). Ces temps forts permettent d'illustrer une thèse assez audacieuse : contre ceux qui pensent - comme on le croit souvent - que l'économie a emprunté les mathématiques du hasard aux sciences de la nature, Pradier montre au contraire que « le calcul des probabilités se développe comme solution à des questions sociales et politiques », solution apportée par des mathématiciens intéressés à la vie de la Cité. Hervé Le Bras avait déjà éclairé la vie de William Petty d'une telle lumière dans Naissance de la mortalité ; voici quelques exemples nouveaux qui font système.

À côté de cette thèse centrale, l'auteur propose des points de vue originaux sur des thèmes que l'on croyait convenus : ainsi, le parallèle entre, d'une part, le développement des mathématiques de la décision depuis l'après-guerre et, d'autre part, les recherches de la fin du dix-huitième siècle. Cette comparaison s'appuie sur les travaux d'historiens des mathématiques menés ces quinze dernières années et conduit à penser différemment l'articulation entre économie et mathématiques, leur histoire commune et leur épistémologie. De même, l'étude critique de la distinction entre risque et incertitude chez Knight, et surtout Keynes, met en perspective l'évolution de la théorie économique au cours du dernier siècle et les limites de son domaine d'application. Cette perspective d'histoire longue - la prise en compte de nombreux aspects et champs théoriques (finance, assurance, macroéconomie) - conduit évidemment à des raccourcis ; mais la thèse est remarquable et la bibliographie abondante. Signalons enfin, pour ceux que les « hiéroglyphes effarouchants » intimident, que des encadrés contiennent les signes les plus virulents : la lecture de l'argument est donc fluide. Étonnamment même pour un livre d'économie qui devrait donc convenir à ceux qui abordent l'économie du risque comme à ceux qui la connaissent déjà et cherchent un regard nouveau.

{Septembre 2006}
{Risques 67 (2006)}

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